Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
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1917 : Ar Plouk, poème de J.M. Normand contre la glottophobie dans les tranchées.

Canonnier pendant la guerre, Jean-Marie Normand de Guiclan a publié dans le journal Kroaz ar Vretoned (La Croix des Bretons) un certain nombre de poèmes sur la vie dans les tranchées. L’un d’entre eux s’élève contre le racisme ordinaire qui touche le soldat breton à cause de sa langue, son accent, ses habits.

Avant guerre, les ruraux se reconnaissaient par leurs habits traditionnels.  Ils étaient déjà traités de ploucs nous dit le poète : Kalz Gallaoued ha falz-Vreizhiz, gav an dra-se un tamm iskiz, ha pa welont ur c’haezh koueriad : « plouk ! plouk ! » warnañ hopont dalc’hmat. (Beaucoup de Français et de faux-Bretons trouvent cette façon de s’habiller étrange, et quand ils voient un pauvre paysan, ils le brocardent toujours par ces mots « Plouk, Plouk »).

Le mot plouc est utilisé pour railler les gens de la campagne considérés par ceux de la ville comme rustres ou lourdauds. Il est d’origine incertaine : certains l’ont rapproché du breton plou fréquent en Bretagne, d’autres affirment qu’il viendrait du mot anglais ploughman, qui désigne un laboureur ou encore du flamand ploegqui signifie charrue comme en anglais. Quoiqu’il en soit, Jean-Marie Normant a souffert de ce quolibet pendant la guerre : Gant ar brezel ez omp mesket, met ar c’hiz fall n’eo ket cheñchet ; mar d’omp-ni holl gwisket e glas, etre hor yezh ez eus kemm c’hoazh (Avec la guerre, nous sommes mélangés mais les mauvaises habitudes perdurent ; si nous sommes tous vêtus de bleu, nous ne parlons pas tous la même langue).

Et c’est là qu’intervient le racisme linguistique, ce qu’on appelle aujourd’hui la glottophobie fréquente dans les tranchées : « Sell, emaint o tebriñ kolo ! » a lar buan ar paotr gallo ; gant dismegañs ‘deu da hopal : « plouk ! plouk » serr da siminal ! (Regarde ! Ils mangent de la paille ! se moquent les Français et avec le plus grand mépris ils crient « Plouc ! plouc ! ferme ton clapet ! »)

J.M Normant souffre mais sait tourner la page : « Bevet holl soudarded ar Vro ! Gallo ha breizhad en un dro, Pep hini en deus graet e zever, Er Marn, er Somm hag en Yser » (Vivent tous les soldats, qu’ils soient Français ou Bretons, chacun a fait son devoir sur la Marne, sur la Somme ou sur l’Yser).

Son œuvre poétique est réunie aujourd’hui dans un recueil bilingue Barzhonegoù war an talbenn(Poèmes du front) aux éditions TIR de l’université de Rennes II.

Pennad orin / Texte original

Ar "PLOUK"

Du-mañ 'n hor bro gaer Breiz-Izel
Ar gwiskamant zo disheñvel
D'an dud a boagn er parkeier
Hag hini a chom e Kêr

Ur bragou bras, frank ha ledan,
Ur jiletenn hag un turban,
Gant ur chupenn a-dreñv fleñchet,
Gant meur a zen a vez douget.

'Lec'hioù all 'zo 'vez alaouret
Gwiskamanchoù brav ar baotred ;
Dre holl avat, un tokig du,
Bleuk ha boulouzenn a bep tu.

Kalz Gallaoued ha fals-Vreizhiz
'Gav an dra-se un tamm iskis,
Ha, pa welont ur c'haezh koueriad :
« Plouk ! Plouk ! » warnañ 'hopont dalc'hmat.

Gant ar brezel ez-omp mesket
Met ar c'hiz fall n'eo ket cheñchet »
Mard'omp-ni holl gwisket e glas,
Etre hor yezh ez eus kemm c'hoazh.

Ar wir Vreizhiz a zo dre holl
'Vel o gweler e Remungol
Ha sonioù kaer, gwerzioù hor Bro 
A vez kanet uhel tro-dro.

Sell ! Emaint o tebriñ kolo ! »
A lar buan ar paotr Gallo ;
Gant dismegañs 'deu da hopal :
« Plouk ! Plouk ! Serr 'ta da siminal !

Ma oa gwechall 'raok ar brezel
Kemm etre liv, stumm ha mantel,
Hor yezhoù 'zoug d'an esperañs
Hag holl e tifennomp ar Frañs.

Bevet holl soudarded ar vro !
Gallo ha Breizhad en un dro ;
Pep hini 'n deus graet e zever
Er Marn, er Somm hag en Yzer.

E Verdun an Alamaned
A zo bet pelloc'h distoupet
Er C'hronprinz ez-eus atav droug 
E vije c'hoazh Gallo ha Plouk !”

Ra vevint ! Ra vevint atav !
Va mennozh, va gwir mennozh eo.

Graet gant ur "Plouk" : Yann Mari Normand

(Kroaz ar Vretoned, N° 215, 15 a viz Ebrel 1917, P. 1)
Skritur Brezhoneg a-vremañ gant Bernez Rouz.

Troidigezh / Traduction

Le "Plouc"

Chez nous dans notre beau pays de Bretagne,
Nos vêtements sont différents.
Les gens qui travaillent dans les champs
Et les gens qui habitent en ville.

Un pantalon ample et large,
Un gilet et un turban,
Un veston avec franges à l'arrière,
C'est ce que portent beaucoup de gens.

Il y a beaucoup d’autres endroits
0ù les beaux habits des garçons sont dorés
Tous portent cependant un petit chapeau noir
Avec une boucle et des rubans de chaque côté.

Beaucoup de Français et de faux Bretons
Trouvent cela un peu étrange,
Et, quand ils voient un pauvre paysan :
« Plouc ! Plouc ! » lui crient-ils toujours.

Avec la guerre nous sommes mélangés
Mais la mauvaise habitude n'a pas changé
Si nous sommes tous habillés de bleu,
Il y a encore des différences entre nos langues.

Les vrais Bretons se reconnaissent
Comme on les voit à Rumengol
Et les beaux chants, les complaintes de notre pays,
On les chante bien haut aux alentours.

« Regarde ! Ils mangent de la paille ! »
Dit aussitôt le Français ;
Avec mépris il se met à crier :
« Plouc ! Plouc ! Ferme donc ton clapet ! »

S'il y avait autrefois avant la guerre
Des différences entre les couleurs, les formes d'un manteau
Nos langues portent l'éspérance
Que tous nous défendons la France.

Vivent tous les soldats du pays !
Qu’ils soient Français ou Bretons.
Chacun a fait son devoir
Sur la Marne, la Somme et l'Yser

A Verdun les Allemands
Ont été vaincus
Chez le Prince héritier il y a toujours la crainte 
Qu’il y ait encore des Français et des Ploucs.

Qu'ils vivent et revivent toujours
C'est mon idée, ma vrai idée ! 

Jean-Marie Normand
Traduction Joseph Martin, complétée par Bernez Rouz.

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Normant (Yann-Mari), Ar "Plouk", in Kroaz ar Vretoned N° 215, 15 a viz Ebrel 1917
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/document.php?id=kroaz-ar-vretoned-1917-1123&l=fr

Normand (Yann-Mari), Barzhonegoù war an talbenn - Poèmes du Front, ed TIR, Rennes, 2018

Martin (Joseph), Jean-Marie Normand, Un emsaver breizhat e-pad ar Brezel bras- un militant breton pendant la grande guerre, Mémoire de maitrise, Université de Rennes II Rennes, 2017

Pierre (Christian), 14-18 Barzhonegoù war an talbenn, in Le peuple Breton
http://lepeuplebreton.bzh/2018/11/09/14-18-barzhonegou-war-ar-talbenn-poemes-du-front/