Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

1914-18 Les poilus utilisaient le breton pour contourner la censure

La grande majorité des poilus bretons, passée par l’école obligatoire, écrivait en français à leur famille. Mais certains parsemaient leurs lettres de phrases en breton afin de contourner la censure. Un bel exemple nous est donné par la correspondance de la famille Guillou d’Elliant récemment publiée par l’association Arkae. Jean-Louis, hospitalisé à Dijon, se plaint de la nourriture : Gwall luget kaout boued da zebriñ … An hini ne ya ket da bourmen pemzek kart lev bep mintin n’en deus ket droad da vont e kêr. (C’est très difficile de trouver à manger, et celui qui ne peut pas marcher 15 km chaque matin, n’est pas autorisé à sortir en ville). Il commente aussi les actualités du front ce qui est totalement interdit : Na gredit ket ar c’hazetennoù, ne c’hellont ket gouzout petra a basef. Hervez ar pezh zo bet lavaret deomp ez eer bremañ o vont da doullañ ar renkennadoù Prusianed. E-kichen Reims ez eo toullet war tregont kart lev hed hag ul lev en donder (Ne croyez pas les journaux, ils ne peuvent pas savoir tout ce qui se passe. D’après ce qu’on nous dit, on va percer les lignes prussiennes. Près de Reims le front a été enfoncé sur 30 km de long et 4 km de profondeur).

Il témoigne de la bravoure des Bretons au feu notamment à Verdun : Noz-deiz a gombater gant kanolioù bras a ra trouz spontus. Ret eo kaout ar paour-kaezh Bretoned disprizet evit o arretiñ hag o c’has er-maez eus fozioù ar vro (Nuit et jour, on les combat avec de gros canons qui font un bruit épouvantable. Il a fallu compter sur les pauvres Bretons méprisés pour les arrêter et les déloger de leurs tranchées). L’écriture en breton et en français de J.L. Guillou est remarquable. Il avait appris à lire et à écrire les deux langues a l’école catholique d’Elliant et au Likès de Quimper ; bel exemple de réussite de l’enseignement bilingue.

Quelques jours avant d’être tué dans la Somme il écrivait ceci : Komañset eo ar soubenn da virviñ ha betek-henn e ya mat an traoù evit ar Fransizien. E-keñver al lec’h emaon, ar c’hanolioù na ehanont mui na noz na deiz. Kemerit kouraj ha pedit Doue evidon (La soupe a commencé à bouillir et jusqu’ici tout va bien pour les Français. Là où je suis, les canons n’arrêtent plus, nuit et jour. Ayez du courage et priez pour moi).

Son dernier mot à ses parents a été « Je garde confiance en N.D. de Lourdes ». Quelques jours après, en septembre 1916, il est porté disparu en Picardie.

Pennad orin / Texte original

Da Naoned ez euz deuet soudarded deuz Russi. Tapet pe guelloc’h en em rentet prisonnerien da re an Itali. Re an Aotrich en doa ho lakeet er c’henta linen da gombatti a enep an Itali.

Soudarded deuz ar Bulgari a zo digasset prizonnerien da Frans.

Dre aman a vez bandennadou boched o tenna légumach, ho ledec teil, ho karga. Enn dro d’an eost ez eus bet ivez kals anezho tro var dro. Ar re a zo enn dro d’ar glaou a oar labourat, hervez ar pez ar lavar ho diouallerien, divalo int ivez, ha benn ho lakaat da labourat a ranker merka dezho ho c’hont da ober.

Breman an dépôt deuz ar 148 – ha ielo da Toulon a zo lavaret aman. Peguir ar régimant-se a zo eat d’ar Serbi. Neuze Pierric né c’hello ket mui en em zrebouilla evit dont d’ar guer bep sul, peotramant ha ranko chench régimant. Ha neuze eun den ken débrouillard-se pe guir en deus gret 2 vloaz en amzer a beoc’h na glefe ket beza soudard sêmpl a ben breman. Aman an hini a zo libr, ha memes ar re gam, hinienno ha nin ket pare re vad ha renk bale d’ho zro, hervez ho oad – Na gredan ket e chomin aman 5 mis nemet chom a rafen klanv.

Noun ket evit miret da c’hoarzin pa zonjan en dra ze; debrouillard ba korn toul.

Chom da guila na dalvez ket, an hini a dle dont d’ar guer a deuïo neus fors peguement a valis a vezo diouthan ha neus fors a [ill…[danger e vezo.

 

Troidigezh / Traduction

A Nantes sont arrivés des soldats russes. Ils ont été fait prisonniers ou plutôt ils se sont rendus aux Italiens. Les Autrichiens les avaient mis en première ligne contre les Italiens.

Des soldats bulgares ont été envoyé en France comme prisonniers. Par ici il y a des bandes de Boches qui tirent des légumes, qui chargent et étendent le fumier. Beaucoup ont fait la moisson tout autour. Ceux qui s’occupent du charbon savent travailler selon leurs gardiens. Mais ils sont aussi de mauvaise composition : pour les faire travailler il faut leur marquer le compte qu’ils ont à faire.

Maintenant le dépôt du 148 ira à Toulon d’après ce qu’on dit.

Ceci parce que le régiment a été en Serbie. Alors Pierric ne pourra plus se débrouiller pour rentrer à la maison chaque dimanche, ou alors il devra changer de régiment. Et donc cet homme si débrouillard parce qu’il a fait deux ans en temps de paix, ne devrait plus être simple soldat actuellement. Ici celui qui est libre et même les boiteux, ceux qui ne sont pas complètement guéris doivent marcher à leur tour, selon leur âge. – Je ne pense pas que je resterai ici cinq mois sauf si je tombe malade.

Je ne peux pas m’empêcher de rire quand je pense à ça : débrouillard dans le trou des chiottes.

Rester pleurer ne sert pas à grand chose, celui qui doit rentrer le fera. Aussi malin qu’il soit et n’importe où, il y aura du danger.

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Douguet (Jean-François), Une famille de Basse-Bretagne face à la guerre (1914-1916), édition Arkae, 2014
http://www.arkae.fr/index.php/component/content/article/22-editions/500-2015-12-10-10-25-03

Petites patries dans la Grande Guerre, Collectif sous la direction de Yann Lagadec, Erwan Le Gall Michaël Boullet, PUR Rennes, 2013.

Lagadec (Yann) « Littérature(s), identité(s) régionale(s) et Grande Guerre en Bretagne », Siècles [En ligne], n° 39-40, 2014 (mis en ligne le 27 novembre 2015).