Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

1905 : Polémique à Carhaix : les femmes peuvent elles faire du théâtre ?

Le 8 janvier 1905, Paotred Pleiber (les gars de Pleyber-Christ) jouent une pièce de théâtre sur le marquis de Pontcallec. Le rôle d’Enora, seule femme de la tragédie est joué par un homme. Cela fait réagir l’auteur François Jaffrennou qui décide de créer une troupe mixte à Carhaix : Ni a oa hardioc’h evit Leoniz. Ni, na felle ket d’imp lakaat paotredigou da c’hoari rolloù merc’hed. (Nous étions plus hardis que les Léonards, nous ne voulions pas que le rôle des femmes soient tenus par des jeunes gens).

Directeur du journal républicain bilingue  Ar Bobl (Le peuple), il lance une enquête auprès des lecteurs du journal : « La femme doit-elle paraître en scène ? ». Plus de cent réponses arrivent au journal : Ur plac’h n’eus ket a zizenor eviti o c’hoari en ur pezh brezhonek Mar g-eo onest ar pezh hag ar plac’h (Il n’y a aucun déshonneur pour une fille à jouer dans une pièce en breton, si la pièce et la fille sont honnêtes !) écrit une jeune lectrice. Du côté des hommes, les réponses sont tranchées : Daoust pegeit e talc’ho ar c’hiz ken nailh ha ken direizh da wiskañ brozhioù d’ar baotred, ha ni ken koant hon faotrezed ! (Jusqu’à quand garderons-nous cette coutume sotte et stupide de mettre des robes aux garçons alors que nos filles sont si belles ! Un autre détaille Ar vaouez hebken a zo barrek da zisplegañ ur roll plac’h. Hi he-unan a lakeo ennañ gant he braventez, ar galon, an deneridigezh, an douster, an neuz, an natural a zo ezhomm (Il n’y a qu’une femme qui peut tenir le rôle d’une femme, et y mettre le charme, le coeur, la tendresse, la douceur, la manière, le naturel qu’il faut). Du côté du clergé, le son de cloche est différent : « En faisant paraître la femme sur scène vous l’exposez à perdre de son prestige » écrit le recteur de Carhaix, « La promiscuité des deux sexes peut être une source de grands désordres » estime un vicaire.

L’histoire retiendra que la première femme a monter sur les planches s’appelle Catherine Dévédec. Louis Hémon, député républicain du Finistère qui parraina cette grande première, lui rendra hommage en la baptisant « Rouanez ar  brezhoneg » la reine du breton. Clin d’oeil de l’histoire : la première troupe de théâtre mixte en breton s’appelait « Paotred Keraez-Plouguer », (les gars de Carhaix-Plouguer), sans que personne n’ait relevé à l’époque une quelconque contradiction.

Pennad orin / Texte original

Ni oa hardioc'h evit Leoniz. Ni na felle ket dimp lakaat paotredigoù da c'hoari rolloù merc'hed. Nann avat. Kentoc'h chom d'ober netra.
Mont a rejomp en ur vont d'un eil gamarad d'egile oc'h aliañ anezhe da gemeret un tamm diduamant en ur c'hoari pezhioù brezhonek. Heb dale pell e oamp un dousenn gonsorted ... hag ur plac'h yaouank, an dimezell Katrin Demezec oajet a ugent vloaz.
Ya ur plac'h yaouank a Garaez he doa kredet dont en hon mesk ha dehemer roll mestrez pont kalleg : Lenora.
Person Keraez a oa neuze an Ao. Quiniou a savas e vouez en iliz evit gourdrouz ar strollad ha diskuilh e oa perc'hed mervel sevel strolladoù paotred ha merc'hed mesk-ha-mesk.
Gwir eo an dra-se ne oa ket bet gwelet biskoazh da vihanañ en teatr brezhonek. Met perak ar pezh a oa mat d'ar C'hallaoued a oa difennet d'ar Vretoned ? 
An tabut-se a lakas ac'hanomp da dremen evit dispac'hourien. Met ar veleien speredet ha skaerwelet na oant ket touellet. Mirout a raent fiiañs ennomp... An dud a renk mont gant o amzer.
En e brezegenn an Ao. Hamon a rentas homaj d'an dimezell Katrin Devedeg, "Rouarnez ar brezhoneg". Ar gourc'hemennoù-se a oa melitet bras. Ar plac'h yaouank-se en em  ziskleria un aktourez a gentañ klas.

F. Taldir-Jaffrennou, An Oaled, N°68, 1939, pp101-102.

Troidigezh / Traduction

Nous étions plus hardis que les Léonards. Nous ne voulions pas que les rôles de femmes soient jouées par des adolescents. Non alors, plutôt rester à ne rien faire.
Nous allions d'un camarade à l'autre pour les inviter à prendre du plaisir à jouer du théâtre en breton. Sans tarder nous réunîmes une douzaine de gars ... et une fille, Mademoiselle Catherine Dévédec, 20 ans.
Oui une jeune fille de Carhaix avait osé venir avec nous et jouer le rôle de la femme de Pontkalleg Lenora.
Mr Quiniou, le recteur de Carhaix, s'éleva en chaire pour fustiger la troupe et déclarer que un groupe de gars et de filles mélangés était péché mortel.
Il est vrai que qu'on n'avait jamais vu cela dans du théâtre en breton. Mais pourquoi ce qui était admis pour le théâtre en français ne l'était pas en breton ?
Cette polémique nous fit passer pour des révolutionnaires. Mais les prêtres, intelligents et lucides ne se trompaitent pas. Ils nous gardaient leur confiance. Les gens doivent aller avec leurs temps.
Dans son discours, le député Hamon, rendit hommage à Catherine Dévédec, la "Reine du Breton". Des compliments bien mérités car la jeune fille se montra une actrice de talent.

François Taldir-Jaffrennou, An Oaled N°68, 1939, pp101-102

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Ar Bobl, 1905, 
http://mnesys-viewer.archives-finistere.fr/accounts/mnesys_cg29/datas/medias/collections/bibliotheque/presse/4MI027/FRAD029_4MI_027_1905_04_01_001_1905_04_29_004.pdf

Jaffrennou (François), Eñvorennoù, in An Oaled N°68, 1939
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/document.php?id=an-oaled-1939-n-68-4987&l=fr