Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

1554 : Sonnet breton en l’honneur de la naissance d’Henri IV

Les prestigieux « Jeux floraux » de Toulouse ont couronné en 1553 un poète Quimpérois, François Moeam. Celui-ci reçoit l’églantine pour un « Chant royal de Nostre dame ». Moeam précède ainsi au palmarès Pierre de Ronsard qui recevra cette distinction l’année suivante.

Preuve que le breton comme les autres langues du royaume garde un fort prestige, Moeam publie un « sonnet e brezonec » (sonnet en breton) dans un recueil collectif de poésie, initié par Bernard du Poëy de Luc et daté de 1554 « Poésie en diverses langues sur la naissance de Henry de Bourbon ».

Pa oa ar mab-mañ ganet, holl niñfenned ar vro,
Kaer, vil, bras ha bihan zo deuet en ur ganañ
Da gichen e gavell evit e luskellañ
Hag int deraouet holl da goroll war e dro

(Quand fut né ce fils, toutes les nymphes du pays,
Belles, laides, grandes et petites sont venues en chantant,
Près de son berceau pour le bercer,
Et toutes ont commencé à danser autour de lui)

A ce premier quatrain charmant s’ajoute un autre plus flatteur

Merc’hed eme unan, pa vo echu an dro
Me donk e vo roue war bloue hañv ha goañv
E talc’ho en e vos, deiz ha noz dindanañ
Holl gorf an douar krenn, penn da benn war un dro

(Filles dit l’une d’elles, quand fut terminée la ronde,
Je prédis qu’il sera roi sur terre été et hiver,
Qu’il tiendra dans le creux de sa main, jour et nuit sous sa coupe,
Toute la terre ronde).

Ce qui est intéressant dans ce poème c’est l’utilisation des klotennoù diabarzh (Rimes internes).

La poésie du Moyen Âge utilise les mêmes artifices que la poésie savante galloise :
Ni eme re arall, kreñv ha fall, a fell deomp
E chome e galon rak raezon eo ganeomp
Evit diskiñ skiant, holl c’hoant ar rouanez

(Nous disent les autres, fortes et faibles, nous voulons
Que son coeur reste avec raison avec nous,
Pour apprendre la sagesse, tout le désir des rois).

Gwennole Le Menn a identifié l’auteur, François Moeam, Procureur du Roi à Quimper. « Poète de grande qualité, c’est un exemple particulièrement intéressant d’un homme instruit qui écrit dans un breton remarquable par son classicisme et qui utilise un système de versification savant ».

Moeam adressa ces vers à Isabeau de Navarre «  Ma muse ne prend plaisir qu’à voir couler à loisir, le petit aon qui abreuve tout la secheur qu’il trouve devant mes bretes campagnes, Jet et Odet ses compagnes ». Aon est la contraction de Avon, qui signifie rivière ; Aon francisé a donné son nom à l’Aulne, le plus grand fleuve côtier du Finistère.

Pennad orin / Texte original

Soned e brezhoneg

Pa oa ar mab-mañ ganet, holl niñfenned ar vro,
Kaer, vil, bras ha bihan zo deuet en ur ganañ
Da gichen e gavell evit e luskellañ
Hag int deraouet holl da goroll war e dro

Merc’hed eme unan, pa vo echu an dro
Me donk e vo roue war bloue hañv ha goañv
E talc’ho en e vos, deiz ha noz dindanañ
Holl gorf an douar krenn, penn da benn war un dro

Ni eme re arall, kreñv ha fall, a fell deomp
E chome e galon rak raezon eo ganeomp
Evit diskiñ skiant, holl c’hoant ar rouanez

War-se e vezo eñ bete' n neñv gorroet
Dreist pep heni mar bez skiant dezhañ roet
Ha mar bez roue hep gaou e pep traoñ ha menez

Brezhoneg a-vremañ gant B. Rouz

 

Troidigezh / Traduction

Sonnet en breton

Quand fut né ce fils, toutes les nymphes du pays,
Belles, laides, grandes et petites, sont venues en chantant
Près de son berceau, pour le bercer
Et toutes ont commencé à danser autour de lui.

Filles, dit l'une d'elles, quand fut terminé la ronde,
Je prédis qu'il sera roi sur terre, été et hiver,
Qu'il tiendra dans le creux de sa main, jour et nuit sous son empire
Tout le corps de la terre ronde entièrement tout ensemble.

Nous, disent les autres, fortes et faibles, nous voulons
Que son coeur reste, car c'est naturel avec nous
Pour apprendre la sagesse, tout le désir des rois.

Sur cela il sera jusqu'au ciel élevé
Au-dessus de tous si la science lui est donnée
Et s'il est roi, sans mensonge, dans chaque vallée et mont.

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Le Menn (Gwennole), Les poèmes en breton et en français du Quimpérois François Moeam, in Bulletin de la société archéologique du Finistère, 1980, p 317-336
Le Menn (Gwenole), Un sonnet en moyen breton célébrant la naissance de Henri IV (1553), écrit par un Quimpérois François Moeam, in Etudes celtiques, 1981, p.249-271.
https://www.persee.fr/doc/ecelt_0373-1928_1981_num_18_1_1688
Le Menn (Gwenole), Bilinguisme et trilinguisme en Bretagne,
https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1982_num_15_1_1288 
Académie des Jeux floraux, Actes et délibérations du collège de rhétorique, ed Privat, Toulouse 1933, Tome 1, pp121-130