1972 : Makoto Noguchi le premier japonais bretonnant
Arrivé en Bretagne en 1970, Makoto Noguchi se lit d’amitié avec des étudiants de la section de celtique de Rennes et assiste à un cours de breton qui sera pour lui un véritable déclic : Perak e fell da Vretoned ‘zo komz o yezh ? Perak ne fell ket d’ ar re all ? Perak ez eus tud a fell dezho bezañ Bretoned ? Perak ez eus tud all ne fell ket dezho ? Perak eo diaes adsevel o sevenadur ? Pelec’h e ya o buhez ? (Pourquoi certains bretons veulent parler leur langue et pourquoi certains ne le veulent pas ? Pourquoi certains veulent être Breton et pas d’autres ? Pourquoi c’est difficile de faire renaître une culture ? Vers où mènent-ils leur vie ?).
Devenu bibliothécaire de la section, il apprend le breton qu’il perfectionne pendant les vacances universitaires dans les fermes de Basse-Bretagne. Féru de théâtre, il s’inquiète du charactère désuet du répertoire existant : gwelet ‘m eus ne oa nemet ur c’hoariva kozh ha relijiel ha ne blije ket din an dra-se. Ha neuze, c’hoant em eus bet da skrivañ ur pezh-c’hoari, evel pa oan e Bro-Japan. (J’ai vu qu’il n’y avait que du théâtre à l’ancienne marqué par la religion qui ne me plaisait pas du tout. J’ai donc voulu écrire une pièce comme il se faisait au Japon quand j’y étais).
Féru de théâtre, il écrit An houlenn (la vague) qui fait référence à la célèbre estampe d’Hokusai. Elle représente une vague gigantesque qui engloutit des pêcheurs. Pour Makoto, la vague c’est l’État tout puissant qui engloutit le peuple en l’obligeant à faire la guerre comme l’exprime la fiancée d’un soldat : Lavarout a rez ez ez evit ar vro, met ar brezel a lazh an dud. An enebour a c’hortoz ac’hanout evit da lazhañ. N’ hallan ket lezel ac’hanout da vont d’ an emgann. Evidon-me, se n’ en deus ster ebet. (Tu dis que tu vas combattre pour sauver le pays, mais la guerre tue les gens. L’ennemi t’attend pour te tuer. Je ne peux pas te laisser partir te battre. Pour moi ça n’a aucun sens).
Pour renforcer l’idée du soldat anonyme broyé par la logique d’État, aucun personnage de la pièce ne porte des noms. Ce sont des matricules qui meurent au grand détriment de l’humain incarné par la fiancée : Pep tra en deus dilezet, pep tra… Dilezet en deus ar garantez. Ar brezel ne lak ket an den da soñjal er re all. En em gannet eo ha marvet. Ar Stad en deus rediet anezhañ da vont d’ ar brezel : laeret he deus ar garantez digantañ. Abalamour d’ ar Stad eo bet ret d’ ar bobl mont d’ an arme. Daskor din va c’haredig ! Ro buhez dezhañ en-dro ! ( Il a tout abandonné, tout…y compris l’amour. La guerre ne fait pas penser aux autres. Il s’est battu, il est mort, point. L’État l’a obligé à faire la guerre, lui a volé sa vie, son amour. A cause de l’État le peuple doit aller à l’armée. Redonne moi mon fiancé ! Redonne lui la vie !).
An houlenn c’est aussi la vague de l’Ètat qui engloutit la langue bretonne. Pour Makoto l’enjeu est clair : Me gav din, ma ne vez ket komzet yezh ar bobl bremañ ne vo mui nag eus he sevenadur nag eus he frankiz. Ret eo komz brezhoneg bremañ e Breizh ! (Je pense que si on ne parle pas la langue du peuple maintenant, c’est la mort de sa culture et de sa liberté. Il faut parler breton en Bretagne !). On ne peut être plus clair.
Pennad orin / Texte original
Troidigezh / Traduction
La Vague
Cette pièce de théâtre a été jouée plusieurs fois par les étudiants de Rennes. Elle est l'oeuvre d'un étudiant japonais de cette université. Il a eu l'occasion lors des représentation de la pièce d'expliquer pourquoi il s'était mis au breton.
" Pourquoi j'étudie le breton ? "
Je suis arrivé en Bretagne au mois de mars 1970, et j'étais allé voir une fille de Paimpol avec qui je correspondais. J'y ai passé un mois dans sa famille. La mère de mon amie parlait le breton. Mais évidemment je ne savais pas ce que c'était parceque je ne parlais pas le français non plus. Après avoir passé d'agréables vacances à Paimpol je pris le train pour Rennes le 2 avril 1970. Je me suis inscrit à l'université pour apprendre le français. Les chambres de la cité universitaire n'étaient pas si mal mais c'était triste pendant les vacances de Pâques car peu d'étudiants y résidaient et fréquentaient l'université. Je n'avais rien à faire en attendant le début du troisième trimestre.
Juste après les vacances de Pâques, quelqu'un a frappé à ma porte alors que j'étudiais le français. Il m'a interrompu dans mon étude. C'était un étudiant, sans complexe, mal rasé, il était venu voir un étudiant qui résidait dans cette chambre auparavant. Il m'a parlé en français, je n'ai pas bien compris ce qu'il m'a dit. On a continué à discuter. Il m'a donné son nom "Mark Kerrain". Ainsi j'ai fait connaissance avec celui qui me fit interrompre mon étude du français. Ensuite je le retrouvai souvent pour déjeuner avec ses amis et ses amies. Ils étaient tous bretonnants. Je les suivis à un fest noz à Poligné où j'appris quelques mots de breton qui étaient bien étrange pour moi. Je vivais donc parmi les Bretons.
Un jour, pour la première fois j'assistais à un cours de breton. Le professeur était grand, costaud, à moitié chauve et très sympa. Pour apprendre de nouveaux mots aux étudiants il faisait de petits dessins qui étn'étaient pas mal du tout, il s'appelait Per Denez.
Et subitement je me suis posé des questions :
Pourquoi certains Bretons veulent apprendre leur langue ?
Pourquoi les autres ne le veulent pas ?
Pourquoi certains personnes se revendiquent Bretons ?
Pourquoi d'autres ne le font pas ?
Pourquoi est ce difficile de relever une culture ?
Où ménent-ils leur vie ?
Quand j'ai regardé les livres de théâtre en breton l'année dernière, j'ai vu qu'il avait vieilli et qu'il était marqué par la religion, et ça ne me plaisait pas. Et j'ai donc voulu écrire une pièce de théâtre comme du temps ou j'étais au Japon.
Que vaut pour moi le fait d'apprendre le breton ?
Faire honte aux Bretons qui ne parlent pas le breton. De plus me semble t'il, si on ne parle pas la langue du peuple maintenant on ne le fera jamais plus, et il perdra sa culture et sa liberté.
Il faut parler breton en Bretagne.
le 10 avril 1972
( Al Liamm, N°152, p. 116)
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Oberennoù Makoto Noguchi
An Houlenn, pezh c'hoari, in Al Liamm N° 152, 1972, pp216-231.
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/document.php?id=al-liamm-1972-n-150-a-155-7450&l=fr
Ar vro ne ra ket erc'h enni, in Sav Breizh, N°10,
Peder mogedenn, barzhoneg, in Al Liamm, N°159, 1973
Marvailhoù ar Sav-heol, kontadennoù, An Here, 1991
Wikipedia brezhoneg, https://br.wikipedia.org/wiki/Makoto_Noguchi
France 3 Breizh : https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00509/pevar-estranjour-o-komz-brezhoneg-quatre-etrangers-bretonnants
Ouest-France : Perazzi (Jean-Charles), Un japonais bat la campagne bretonne, in O.F. 05/04/1974
Ouest-France : Makoto Noguchi, le plus breton des Japonais, O.F. 18/04/1991