Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

1640 : L’éloge en 40 langues – dont le breton- de l’érudit provençal Nicolas Peyresc

Mort en 1637, Nicolas Peiresc est un des grands érudits humanistes du XVIIème siècle. Il entretenait une correspondance avec des érudits à travers toute l’Europe. Il fit venir de Bretagne un Dictionaer ha collocou gallec-brezonnec ha latin, diviset en teir queufren, (Dictionnaire et colloque français-breton-latin, divisé en trois parties). A sa mort, à Rome, ses amis décidèrent de lui consacrer un hommage posthume, sous l’égide du pape, en quarante langues :
Kement langaj a zo er bed Italian, Latin ha Grek Irland, saozneg ha Brezhoneg
Hoc’h eus komzet, en ur redek E-barzh ar galleg dreist pep tra Ez hoc’h bet Aotrou ar c’hentañ Pa deu pep langaj a zo er bed D’ho meuleudiñ betek ar stered.
(Vous avez parlé toutes les langues qui existent en ce monde, Italien, latin et grec, Irlandais anglais et breton, et surtout le français en premier lieu. Que chaque langue ici bas vous louent jusqu’aux étoiles ».

Ces érudits polyglottes avaient à l’époque un profond respect pour toutes les langues, reflets de la diversité et de la richesse humaine. Les Bretons avaient pignon sur rue à Rome dès 1455. Ils se retrouvaient à la paroisse Sant Ivo dei Bretoni (St Yves des Bretons). Nicolas Peiresc fréquentait la paroisse de Saint Louis des Français, non loin de l’église des Bretons . Francisci Kian, l’auteur du texte était probablement un ecclésiastique venu en pélerinage. Il écrit humblement : Ar brezhoneg gwellañ ma c’hell A lavaro e ganaouenn (Le Breton, le mieux possible écrira sa chanson). A noter son nom Kian : c’est la plus ancienne utilisation du k barré pour l’abréviation de Ker. Le nom était donc Keryann ou Kerjean, ce qui trahit une origine léonarde.

L’éloge funèbre est joliment tourné : Aotrou pinvidik, leun a vadelezh, Emaoc’h en neñv e-touez an Aeled, Ho korf a zo en douar yen, Ken na vezo deut ar varn, Ma vezo graet da beb den, Monet da dremen en ur vro all. (Riche seigneur, plein de bonté, Votre âme se trouve parmi les anges, Votre corps est dans la terre froide, jusqu’au jour du jugement, où chaque homme sera obligé, de passer dans un autre pays.)

Cet éloge en 40 langues marque un appétit des lettrés de l’époque pour  connaitre l’homme (an Den) dans sa diversité. Il est symptomatique que le mot Deneliez (humanité) se trouve déjà dans le Catholicon de 1464, le premier dictionnaire breton qui est aussi le premier dictionnaire français.

Pennad orin / Texte original

Ode britonnica sev armorica Francisci Kian Britonis

Aotrou pinvidik, leun a vadelezh
Emaoc’h en neñv e-touez an Aeled
Ho korf a zo en douar yen
Ken na vezo deut ar varn
Ma vezo graet da beb den
Monet da dremen en ur vro all.

Kement langaj a zo er bed
Italian, latin ha grek
Irland, saozneg ha brezhoneg
Hoc’h eus komzet en ur redek
E-barzh ar galleg dreist pep tra
Ez hoc’h bet Aotrou ar c’hentañ.


Pa deu pep langaj a zo er bed
D’ho meuleudiñ betek ar stered
Ar brezhoneg gwellañ ma c’hell
A lavaro e ganaouenn
An neñv o gwelet ho oberioù
En deus ho lamet diwar an delioù

Fañch Keryann

Troidigezh / Traduction

Ode en breton d'Armorique du révérend François Kerian

Riche seigneur plein de bonté
Votre âme se trouve parmi les anges
Votre corps est dans la terre froide
Jusqu'à ce soit le jour du jugement
Où chaque homme sera obligé
De passer dans un autre pays.

Toutes les langues qui existent en ce monde
Italien, latin et grec
Irlandais, anglais et breton,
Vous avez parlé couramment
En français surtout,
Vous avez été seigneur, le premier.

Puisque vient chaque langue de ce monde
Vous louer jusqu'aux étoiles
Le breton du mieux qu'il peut
Dira son chant.
Le ciel en voyant vos oeuvres
Les a libéré du monde terrestre ?

(Littéralement les a enlevés de dessous les feuilles (image poétique du monde terrestre ?)
G. Ar Menn propose d'y voir le mot dleoù (dettes, devoir, obligation morale)
Le sens serait alors "vous a libéré du monde des obligations".

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Le Menn (Gwennolé), Éloge funèbre de Peiresc en moyen-breton tardif, Ètudes celtiques, 1979, pp. 211-221
https://www.persee.fr/doc/ecelt_0373-1928_1979_num_16_1_1629

Peiresc (Nicolas), Correspondance avec plusieuyrs missionnaires et religieux de l'ordre des Capucins (1631-1637),publiée par Philippe Tamizey de Larroque
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65042b/f339.image.r=breton