1888 : Le “symbole” instrument diabolique du maître d’école pour humilier l’enfant bretonnant
Quelle pédagogie adopter pour faire apprendre le français aux petits bretons monolingues ? L’inspecteur général Irénée Carré publie une étude sur la question en 1888. Qualifiant le breton de « débris corrompu de celtique », il écarte l’idée d’une éducation bilingue mais n’exclut pas un usage restreint du breton pour quelques exercices. C’est lui qui avoue que certains maitres utilisent le « symbole » pour punir les élèves parlant breton. Même s’il qualifie cette pratique de « détestable » il donne l’ordre : « A l’école , le petit breton vivra en français et parlera français » ce qui ouvrira la porte à la stigmatisation des enfants bretonnants.
Rapidement des voix s’élèvent dans la presse bilingue de l’époque : Yezh hon tadoù a vez dalc’hmat disprizet gant ar mistri uhel war an deskadurezh. Er skolioù e vez distreset spered hor bugale ha desket dezhe drougkredennoù diwar hon bro hag hon hendadoù ( La langue de nos pères est méprisé par les grands maîtres de l’éducation. Dans les écoles on change l’esprit de nos enfants, on leur apprend des croyances fausses concernant nôtre pays et nos ancêtres).
Quant à l’utilisation du symbole suivit de punitions, cette pratique est courante et fait réagir la vénérable Association bretonne dès 1896 qui s’insurge contre des punitions « bizarres et ridicules. »
C’est en 1902 quand le gouvernement Combes interdit le breton à l’église comme à l’école qu’un vent de fronde se lève en Bretagne. Ainsi on peut lire dans Kroaz ar Vretoned (Croix des Bretons) : Bremañ e vez argaset strizh ar brezhoneg diouzh ar skol ha gourc’hemennet d’ar mestroù distagañ gwashañ ma c’hellont ar vugale dioutañ ( Maintenant le breton est strictement exclu de l’école et les maîtres ont ordre d’interdire aux enfants de l’utiliser ». Les témoignages sont tellement nombreux qu’ils ont fait récemment l’objet d’une thèse soutenue par Rozenn Milin à l’université de Rennes 2. Cette méthode absurde et traumatisante allait de plus à l’encontre des espérances du maître comme le relate un témoignage publié dans l’Ouest Eclair : Bugale a veze mut a-hed an deiz pe a gomze dre sinou peogwir ne ouient fret a-walc’h a c’halleg ( Les enfants restaient muets toute la journée ou parlaient par signes parce qu’ils maitrisaient mal le français). Il faudra attendre 1933 pour que le mouvement Ar Falz (La faucille) milite pour le retour du breton à l’école laïque.
Pennad orin / Texte original
Troidigezh / Traduction
Le symbole
Ce maudit symbole ! Que de mal il a fait aux enfants de Bretagne, on ne peut l'imaginer. Autrefois dans l'école de ma paroisse, mon maître d'école comme la quasi totalité des maîtres d'école avait mis dans sa tête, d'exclure le breton et faire des petits paysans que nous étions des locuteurs de français exemplaires.
Chaque fois qu'il pouvait, il donnait le symbole, une plaque de fer blanc, au premier qu'il entendait parler breton sur la cour ou qui utilisait la maudite en langue dans la classe. Ce n'était pas un mauvais homme notre maître d'école, loin de là, mais il était partisan du progrès et il pensait comme la plupart de ses collègues que la lumière ne pouvait éclairer les esprits que par le français. Et donc il fallait que chaque année on envoie un adolescent quelconque au concours du certificat et sans le français il n'y aurait pas de certificat.
Très souvent évidemment on attrapait quelqu'un qui utilisait un mot, bon seulement pour les lèvres de barbares. "Tiens - disait le maître en donnant le symbole au coupable -, débrouille toi si tu ne veux pas rester à quatre heures". Le pauvre garçon, s'il ne voulait pas rester en pénitence, devait maintenant chercher un autre"malfaiteur" pour se défaire du symbole. Il guettait et parfois utilisait la ruse pour mettre un camamarade en défaut. Par exemple, il demandait : " Comment que tu appelles ça en breton ? je suis sur que tu ne sais pas !" "Ya" répondait l'autre. Il avait parlé breton, il devait donc porter le symbole.
De temps en temps il y avait des disputes, : " Non, c'est pas vrai, je n'ai pas parlé breton " "Si c'est vrai menteur !" et souvent ces échanges se terminaient à coups de poings et de pieds.
Certains enfants, parce qu'ils ne connaissaient pas suffisamment le français, restait muet toute la journée ou parlaient par signes.
Un jour, à quatre heures, le symbole était perdu. Le maître avait bon demander et redemander, rien à faire. Tous savaient qui avaient jeter l'objet diabolique dans les toilettes mais personne ne le dénonça. " Bien, dit Mr Kerambrun, vous resterez tous, ce soir, en retenue". Alors une voix s'éleva : "Monsieur, je l'ai jeté au cabinet". Qui était ce brave qui avait fait le coup ? Henri Inizan, le meilleur et le plus sage des élèves de l'école. Le maître d'école ne s'attendait pas à ça. Il dit : "Je ne m'attendais pas ça de toi Henri ! Eh bien ce soir tu feras le verbe " Se révolter contre le règlement". Sa voix tremblait et il avait surement beaucoup de dépit. C'était difficile de punir les élèves à cause de la honte. Mais il y avait la réputation de l'école, le certificat et l'inspecteur.
Et donc l'école ennemie, aussi, faisait ça. Sans français, pas de certificat, et tous les enfants iraient alors dans l'autre école. La conscience de monsieur Kerambrun était bien embarassée !
Aberwan, Ouest Eclair, 25 septembre 1941Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Brezhoneg / breton
Evnig Penn ar c'hoad, Ar Simbol, Ouest Eclair, Korn ar brezoneg, 21 Janvier 1937
Aberwan, Ar Simbol, in korn ar brezoneg, Ouest-Eclair, 25 septembre 1941
Français / galleg
Irénée Carré, De la manière d'enseigner les premiers éléments du français dans les écoles de la Basse-Bretagne, in Revue pédagogique, 1888, pp 217-236
Irénée Carré,La Basse-Bretagne. Ses habitants, ses mœurs, ses usages, ses écoles, dans l'Annuaire de l’enseignement primaire, Paris, Armand Colin, 1891, pp. 467-499.
Laurent Puren, Pédagogie, idéologie et politique linguistique. L’exemple de la Méthode Carré appliquée à la francisation de la Bretagne à la fin du XIXe siècle, article publié dans le n°1 de la revue Glottopol, Revue de sociolinguistique en ligne, 2003.