Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

1845 : Quand le Barzhaz Breizh fait du duc Jean IV un héros de l’indépendance bretonne

Le célèbre chant An Alarc’h (Le cygne), popularisé par Alan Stivell, Gilles Servat ou Tri Yann raconte le retour du duc Jean IV d’Angleterre pour chasser les troupes du roi de France qui avaient envahi le duché. Nous sommes en 1379. Ce chant du Barzhaz Breizh était considéré comme une pure invention par certains, jusqu’à la publication des cahiers de collectes d’Hersart de la Villemarqué sur le site du CRBC (Centre de recherche bretonne et celtique).

Il a été collecté sous le titre Gwai gwenn alar (littéralement oie blanche cygne). An Alarc’h (le cygne) désigne l’espèce bien connue de l’oie cygnoïde, c’était un des emblèmes du roi d’Angleterre Édouard III, protecteur du duc de Bretagne en exil, d’où le surnom donné à Jean IV. Le mot alarc’h, identique en gallois, était donc encore connu au XIXème siècle. Un alarc’h tramor War lein tour moal Kastell ar mor , Digoue’t eo an Aotrou Yann en-dro, digoue’t da ziwall e vro (Un cygne d’outremanche sur la tour chauve du château de la mer, Monseigneur Jean est de retour pour protéger son pays)  nous indique les paroles qui ont donc traversé les siècles.

Le duc Jean est magnifié par ce chant : An Aotrou yann zo ur paotr mat, Akuit ha skañv en e zaoudroad, Luc’h a daol  e gorf pa ’n horell, Ken a vrumeen an neb e sell, Pa c’hoari klev’ ken gres a zalc’h, ken a zaouhanter den ha marc’h ( Le seigneur Jean est un solide gaillard, habile et léger sur ses deux pieds, Son armure brille au combat et éblouit le regard de tous, Quand il joue de l’épée il est si vif qu’il coupe en deux, homme et cheval). 

Avec un tel chef les troupes bretonnes sont galvanisées contre l’armée de mercenaires du roi de France : Skrignañ a reont bleizi Breizh-Izel o Klevet embann ar brezel, O klevet ar you e yudont Gant ar c’hallaoued a reont, En hentoù emberr e welont O redek ar gwad evel dour (Les loups de Basse-Bretagne ricanent en entendant le ban de guerre, En entendant les hourras, ils hurlent à l’odeur des ennemis, Sur les chemins ils verront couler du sang comme de l’eau).

Le vocabulaire guerrier est de mise dans ce type de chant. Dans la version publiée en 1845, La Villemarqué, s’est autorisé quelques remaniements mineurs qui ne remettent pas en cause l’existence de ce chant historique. Les chercheurs Donatien Laurent et Christian Souchon attestent de son authenticité. Le Barzhaz Breizh reste un des monuments de la littérature orale de langue bretonne.

(Ci-dessous, une gravure du duc Jean V, fils de Jean IV, portant un cygne sur le cimier de son casque).

Pennad orin / Texte original

Gwai gwenn alar 
Kanet gant Brengolo, sabottier e koat Skiriou)

Eun alar, eun alar tré-mor,
war lein tour moal kastel ar mor
Dign dugn daon etc

Neventi vad d’ar vretoned
Ha malloz ru d’ar c’hgallaoued

Erru eul lest eul lest tremor
he weliou gwen gant han deigor

Digouet ann otrou iann enn dro,
Digouet é da ziwall he vro.

d’he zdiwall deuz ar challlaoued
a zo trech mad d’ar vretoned.

Ken a losker eur iouaden
a ra d’ann od eur grenadenn

ken a iou ar menéziou laz
Ken Ha wrouin [c'hwirinal] ha drid, ar c’hezek glaz

ann otrou iann a zo potr mad
Ha kuit ha skanv enn he zaou droad

Luc’h a doll hé c’horf pan horrel,
Ken a vrumeen an neb hae zell

Pa c’hoari klenv, ken gres a dzalc’h
enKen a zaou hanter den ha march.

- Darc’h ato, dalc’h mad otro duk,
Dao warn’hé ; aï ta, bug. ho bug

Dalc’homp bretoned, dalc’homp mad,
Pba zai war korke [incert.], gwad och gwad

ao [=azv] ar foen, ha piou a falcho ?
ao ann ed ha piou a-vedo ?

hor foen, hon ed, piou ho bako ?
Ar roué gav gant han, a raio.

Dont a rei e-ben eur gaouad,
Gant ar flac’h argant da falc’hat,

Da falchat eteui er bro-ni
Ha gand eur falz aour da védi.

Ha pliche gand ar Challaoued
Daoust hag hint mank ar vretoned

Ha pliché. gand an otrou roue
Dazont daoust hag hen zo doué

skrigna ‘réont bleizi breiz izel
o klevet embann ar brezel ;

o klevet ar ioua iudont,
gand [ ?] ar c’hallaoued a réont.

Enn h enchou eberr a welont
o redeg ar goad evel dour ;

Ken a teui ru brusk ann houidi
Hak ann wazi gwen o [ ?]i

Choaz Liessoch a benn maro
Eged azo er garneliou.

Potred gall elech ma goueint
B[ ?] e c’h[ ?]

Ann deveadur deuz ar gwe
Grai dour beniget war ho be.
[ ?]

Treuzskrivadur ar skrid orin gant Christian Souchon.
(Gwelet ar skrid orin war lec'hiad ar CRBC hag an displegadurioù gant Christian Souchon war e lec'hiad)

Troidigezh / Traduction

Les Oies blanches dites "alar"
(Brangolo, sabotier au Bois Squiriou).

Un vol de cygnes d'outremer
Au-dessus de la tour chauve du fort de mer
Din ding don etc.

Bonne nouvelle pour les Bretons
Et malédiction rouge pour les Français:

Il est arrivé un vaisseau, un vaisseau d'outremer
Aux voiles blanches déployées.

Le seigneur Jean est de retour,
Revenu défendre son pays;

Le défendre contre les Français
Qui ont bien vaincu les Bretons!

Si bien que l'on pousse un cri de joie
Qui fait trembler la côte ;

Si bien qu'exultent les Monts de Laz
Que hennissent et tressaillent les chevaux gris!

Le seigneur Jean est un solide gaillard
Habile et léger sur ses deux pieds

Son armure brille au combat
Et éblouit le regard de tous.

Quand il joue de l'épée, il y met tant de vigueur
Qu'il coupe en deux un homme et son cheval

- Frappe toujours! Tiens bon, Sire Duc! 
Tape-leur dessus! Vas-y! Foule! Oh, foule!

Tenons bon, Bretons, tenons bon!
Quand ils iront au combat, sang pour sang!

Le foin mûr, qui le fauchera?
Le blé mûr, qui le moissonera?

Notre foin, notre blé, qui l'emportera?
Le roi considère que c'est à lui de le faire.

Il va venir après la crise
Avec sa faux d'argent pour faucher.

Pour faucher il vient dans notre pays
Avec une faucille d'or pour moissonner.

Plait-il aux Français [de croire]
Que ce sont des manchots, les Bretons?

Plait-il  à Sire le roi ,
De venir, tout Dieu qu'il est ?

Ils ricanent, les loups de Basse Bretagne
En entendant le ban de guerre!

En entendant les hourras, ils hurlent
A l'odeur des Français, ils hurlent!

Sur les chemins, bientôt ils verront
Couler le sang comme de l'eau.

Si bien que deviendra rouge le poitrail des canards
Et des oies blanches lorsqu'ils [nagent].

Encore plus souvent [on verra] des têtes de mort
Qu'il n'y en a dans les ossuaires.

Les gars de France, où ils tomberont,
[Jusqu'au jour du Jugement ils seront étendus]

L'écoulement de l'eau des arbres
Tiendra lieu d'eau bénite sur leurs tombes.

Traduction établie à partir des propositions de Th. Hersart de la Villemarqué et de Christian Souchon.

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Théodore Hersart de la Villemarqué, Deuxième carnet de collecte, site du CRBC Brest, lire en ligne

Christian Souchon, Les mystères du Barzhaz Breizh, à lire en ligne, en breton, français et anglais.

Laurent Hablot, Emblématique et mythologie médiévale, le cygne, une devise princière, in Histoire de l’art, 2001, N°49, pp51-64.