Préface au roman “Une rose dans les Ténèbres” de Guillaume Kergourlay et Nina Vidrovitch, éd. des Montagnes noires, 2018.
« Puisque ce monde, où nous essayons d’exister, n’est qu’un théâtre et que nous sommes ses acteurs, risquons nos âmes pour les autres ! Nous saurons peut-être, à la fin, ce qui doit advenir de l’homme. » Cette magnifique tirade de Clown Roi, la dernière pièce de Guillaume Kergourlay, résume en trois lignes ce roman essentiel qu’est Une rose dans les Ténèbres.
Le théâtre de sa vie bretonne, Guillaume l’a écrit sous forme de mémoires Le Pays des vivants et des morts et l’a prolongé par des Nouvelles de l’au delà et des Poèmes et sones. Mais Guillaume est avant tout un homme de théâtre. Sa plume alerte, sa gouaille tranquille notamment dans son théâtre fait les beaux jours de la scène bretonne et bretonnante du dernier quart de siècle. Ses racines bretonnes m’ont donné la chance de le rencontrer, de travailler avec lui sur un thème qui nous est cher La Peste d’Elliant et qui reste étonnamment vivant par les contes et les complaintes. La rhapsodie macabre qu’il a composée pour le cinquième centenaire de la chapelle Notre-Dame de Kerdevot reste une illumination, un texte magique scandé par son fils François sur une musique contemporaine de Michel Boedec.
J’ai vu une rouge comète
Semblable à une faux de sang.
Passant au-dessus de ma tête,
Faucher tous les gens d’Elliant.
Mais Guillaume n’écrivait pas sans l’aiguillon de sa muse Nina. Je me souviens encore de ce tableau, l’un des quatre qu’elle créa à cette occasion ou la faux noire divisait deux mondes, cet éternel combat entre la lumière et l’obscurité : “la vie n’est qu’un éclair qui passe, une lueur… et plus de temps…” La rose était déjà sortie des ténèbres à ce moment-là, Guillaume avait manié la plume, Nina le pinceau, restait à faire œ u v r e commune.
Nina Vidrovitch, d’ascendance russe et alsacienne, a vécu à Paris avec et pour la peinture. Elle a travaillé sur des décors de théâtre, des costumes d’où la rencontre naturelle avec Guillaume et ce travail en commun chacun dans son art. Mais il manquait quelque chose pour couronner deux vies d’artistes : ils ont choisi l’entrelac littéraire. Cette communion des textes que Nina avait déjà testée avec son amie Annie Duperey dans De la vie dans son art, de l’art dans sa vie.. dépasse de loin l’échange épistolaire. Il s’agit de produire le miel de la vie, le miel de leur vie. Plus qu’une œuvre en duo, Une rose dans les ténèbres est une création à quatre mains. Chez Nina il y a la main qui écrit et celle qui peint, chez Guillaume il y a le stylo qui court et l’autre main qui imprime la gestuelle, car pour lui, homme des traditions orales de sa terre bretonne, acteur de théâtre, le texte ne vit que parce qu’il est lu, récité, scandé, slamé dirait-on aujourd’hui. Avec Nina, c’est un texte qui s’enrichit de mille couleurs, de la fulgurance des traits, de la dynamique du mouvement et bien sûr du clair obscur des situations qui nous ramènent à l’époque trouble. Le résultat est là, un texte limpide qui nous transporte directement dans les entrailles des personnages.
Les femmes et les hommes qui se croisent dans ce roman ont la grandeur et les faiblesses de tout un chacun. Nina et Guillaume les ont rencontrés dans leur adolescence, l’une à cause d’un nom à consonance juive, a dû se cacher sous un faux nom à Paris pour échapper à la barbarie nazie, l’autre dans sa ferme cornouaillaise, a serré les dents en croisant les Allemands au bourg d’Elliant et respiré l’air salvateur des « talus en transes » qui protégeaient les maquisards. Le monde des milieux artistiques de Paris comme les paysans enracinés dans la terre bretonne n’auraient pu ne jamais se rencontrer. Mais la guerre et l’Occupation bousculent tout : pour tous, c’est le combat pour survivre. Pour les veules, c’est la collaboration, pour d’autres, c’est la neutralité, pour les plus éclairés, c’est le combat pour la dignité c’est-à-dire la Résistance. Personne n’est préparé à la guerre, personne ne sait ce qu’il ferait si elle revenait, et c’est là que l’on voit tous ces personnages simples et tranquilles pour certains, exubérants et fantasques pour d’autres, prendre un autre habit, choisir un camp, choisir une destinée, vivre, aimer et mourir.
Rien n’est simple et le regard que portent Nina et Guillaume, fruit d’une grande intelligence, est un regard serein sur des évènements qui p o r t e n t en eux toute la c o m p l e x i t é d u monde. Leur roman excelle à nous restituer l’atmosphère de cette époque trouble, où l’on continue à créer, à s’aimer, à s’affronter jusqu’à mourir pour un idéal. Une rose dansles Ténèbres est un grand roman enraciné dans le vécu et magnifié par deux plumes complices.
Bernez Rouz, 2018