Pierre Hélias : le résistant, éditorialiste du journal Vent d’Ouest (1944-1945)
Pierre Hélias, le résistant
Pierre-Jakez Hélias est resté discret sur ses activités de résistances pendant la guerre. Blessé lors de la campagne de France en Haute-Vienne, il rejoint Rennes, rue Saint-Louis ou il habitait fin 1940. Professeur au lycée de Rennes, il reçoit une convocation pour le S.T.O. en 1942. Il se réfugie un temps à Lanhélin près de Saint-Malo, jusqu’au moment où on l’informe que son dossier STO avait été détruit par des fonctionnaires résistants. Il sort de sa cachette pour être nommé professeur au collège de Fougères.
Il y dort deux nuits par semaine et sa chambre souvent libre sert à héberger des résistants ou des aviateurs anglais en transit vers l’Angleterre.
Lui-même est recruté par le Brestois Pierre Héger, chef militaire régional de Défense de la France, une organisation qui rejoint début 1944 le Mouvement de libération Nationale (M.L.N.). P.J. Hélias raconte dans Le quêteur de mémoire son implication comme agent de liaison
« Quant à moi, j’ai fait le facteur de la main à la main ou de la voix à la voix entre Fougères et Rennes sans savoir ce que je transportais ni la signification de la phrase qu’on m’avait recommandé de dire à la personne qui m’abordait à la descente du train. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être impliqué dans un réseau structuré. Il paraît que je l’étais. »
Le 4 Août 1944, Fougères et Rennes sont libérés. Pierre Héger crée alors un hebdomadaire régional du M.L.N. et de défense de la France. Il propose à son collègue bigouden de prendre la rédaction en chef de Vent d’Ouest.
Rédacteur en chef de Vent d’Ouest
Le premier numéro sort le 14 octobre 1944. Une date très symbolique puisque le gouvernement provisoire de la France crée ce jour-là les Forces françaises de l’Ouest sous le commandement du général de Larminat pour contenir les poches allemandes de l’Atlantique. Le secteur de Lorient est placé sous le commandement du général Borgnis-Desbordes, le secteur de Saint Nazaire sous le commandement du général Chomel. 65000 FFI s’engage dans l’Armée française de la libération.
A partir du 14 octobre 1944, Pierre Hélias signe 18 éditoriaux particulièrement intéressants pour comprendre les préoccupations des instances résistantes qui doivent remettre en ordre l’institution républicaine, gérer l’épuration et le marché noir, et préparer l’avenir politique du pays. Voici les thèmes principaux qu’il aborde d’une plume virulente voire acérée qui tranche avec ses récits postérieurs concernant la société bretonne de son enfance.
1. « L’épuration est une mesure de salubrité publique”
Dès son premier éditorial, ”On se moque toujours du peuple”, Pierre Hélias dresse un tableau saisissant des misères de la guerre :
« Cette masse énorme de souffrance endurées pendant quatre ans : tes vieux retraités qui s’éteignirent, minés par la fin et dont la pension annuelle aurait à peine suffi à payer un déjeuner au marché noir; tes ouvriers déportés à Düsseldorf et à Mannheim, où ils dépérissent de sous- alimentation et de nostalgie pendant que leurs gosses famélique se préparent à partir aux sanatoria; tes artisans qui vivotèrent de pain dur et de légumes chlorotiques; tes petits fonctionnaires, dont les vêtements flottent sur un corps amaigri; et surtout tes prisonniers, peuple de France, qui croupissent dans un lointain stalag et dont la misérable famille se saigne au quatre veines pour leur envoyer de maigres douceurs, tes prisonniers qui arrivent à durer avec un espoir au coeur qui sera déçu. »
Déçu, car Pierre Hélias se rend bien compte deux mois après la libération de la veulerie du peuple français : les “honnêtes amis de l’ordre”, ”ceux qui ont arrondi une bonne petite pelote pendant la guerre”, ”les trafiquants de toutes denrées”, ”ceux qui ont soutenus Pétain mais qui ont un fils FFI”, ”les dignitaires qui flattaient les potentats de la IIIème république, ondulaient de l’échine vers les pantins vichyssois et s’exercent déjà sous de Gaulle à la reptation sur le nombril” et enfin “les grands pontifes, ceux qui tiennent encore certains leviers de commande et entre lesquels joue la grande fraternité qui veut que les loups ne se dévorent pas entre eux”.
Deux mois après la libération d’une grande partie de la Bretagne, Pierre Hélias s’élève contre deux attitudes qu’il perçoit dans la population : une critique des actions de la Résistance : Les FFI sont traités de voyous pour avoir exécutés quelques collabos, tondus quelques femmes et attaqués quelques enrichis du marché noir. D’autre part, il n’est pas dupe d’ un appel à l’union nationale, qui n’est autre qu’une tentative des Vichyssois de garder leurs postes en mettant en avant leur expérience face aux Gaullistes accusés d’être néophytes.
Cette administration mise en place par le gouvernement Pétain est traité de “Cinquième colonne” dans un second éditorial daté du 18 octobre ou Pierre Hélias fustige la justice, la police, les journalistes, les industriels accusés de ménager les Pétainistes et d’entraver l’action du Général de Gaulle.
2. “L’éternelle question des nourritures”
C’est le problème majeur de la Libération. Après 4 ans de privations, le rationnement existe toujours. Pierre Hélias pointe les difficultés d’approvisionnement de certaines régions françaises. La Bretagne, “terre bénie des gras pâturages” est accusée de ne pas fournir du lait et de la viande aux autres régions. L’éditorialiste n’y va pas par quatre chemins : “L’incapacité des services officiels” et “la corruption des trafiquants” sont les causes de ce dysfonctionnement majeur. Le marché noir est florissant, le Bigouden plaide pour des sanctions “féroces” envers “les grands affameurs”.
3. “Si les prisonniers revenaient demain”
Quand Pierre Hélias signe cet éditorial en décembre 1944, il y a trois millions de prisonniers français en Allemagne “parqués comme des bestiaux dans leurs stalags, rivés à leurs machines sous le bâton de la chiourme nazie ou marinant dans la boue et la vermine des camps d’internement“.
S’ils revenaient demain s’interroge l’écrivain, “beaucoup seront attendus par des femmes amaigries de privations, pauvres, humiliées et délaissées, tenant par la main des enfants pâles aux grands yeux cernés“. Mais ce n’est pas tout ils trouveraient une France anarchique et désorganisée qui ne peut que les écœurer et les mettre en colère. Et Hélias se fait pamphlétaire, réclamant une épuration juste et morale des traitres et des corrompus.
4.”Nous sommes encore en guerre” (13 Janvier 1945)
Après un rappel de la drôle de guerre de 1939, de l’occupation subie, Pierre Hélias fait le point sur la faiblesse de l’Armée française à l’heure du dernier assaut des forteresses nazies. Certes il y a ces 60 000 FFI qui combattent les cinq poches allemandes de l’Atlantique. Il les décrit comme une armée en “guenilles qui mènent une vie animale pour protéger un arrière pays souvent indifférent et parfois même hostile“. Quant aux prestigieux généraux Leclerc et Delattre de Tassigny il “conduisent au feu une petite armée de héros” sur le front d’Alsace. Pierre Hélias doit bien constater un état de fait que “le vrai visage de la France en guerre est un visage américain” et nous sommes installés dans “la guerre des autres“. Lucide il sait qu’on ne lève pas une armée du jour au lendemain, il en appelle donc par à créer une mentalité collective, une psychose, un climat de guerre qui fait plus que les armes. Et de citer les Anglais comme modèle sinon nous ne serons que des satellites, prédit il.
5 “Il nous faut de la Grandeur” (10 Février 1945)
La fin de la guerre approche, laissant son cortège de ruines. Il faut reconstruire.
En politique Pierre Hélias plaide pour une République nouvelle et se dresse contre les conservateurs qui voudraient revenir à la troisième République comme si la guerre n’avait été qu’une parenthèse. “On prend les mêmes et on recommence” s’insurge l’éditorialiste qui estime que cela nous mènerait à une “catastrophe définitive“. Que veut donc Pierre Hélias ? Nous sommes des rebelles écrit t’il, nous voulons rebâtir à neuf, une nouvelle constitution, des institutions et des méthodes à la mesure de cette grandeur qu’il appelle de ses voeux.
Dans le domaine économique, la position d’Hélias est claire : non aux trusts, ces “dictateurs économiques” qui installent leur siège dans un pays hospitalier comme le Luxembourg ou la Suisse et qui tiennent l’économie de plusieurs pays. Le M.L.N. se prononce écrit Hélias pour la nationalisation des banques, des matières premières, des industries clefs, des assurances, des compagnies de transports.
6. ” La France exsangue pèsera encore sur les destinées du monde”
Suite aux accords de Yalta, Pierre Hélias emprunte des accents gaulliens pour regretter que la France n’a pu faire entendre sa voix alors que les trois grands se sont partagés le monde. Les “Grands” sont ceux qui peuvent financer des guerres titanesques concède t’il, ce n’est pas le cas de la France. Alors faut il se jeter dans les bras de Roosevelt ou de Staline ? La réponse est claire, c’est celle du général de Gaulle, c’est l’indépendance de la France. Les liens avec les Alliés doivent être des liens d’association et non de servitude.
Et Hélias d’égrener les fiertés françaises de cette fin de guerre : “Ceux du Tchad, de Bir-Hakeim et d’Alsace, des FFI, de ces gars de Paris qui incendiaient des “tigres” avec des bouteilles d’essence” et surtout du général de Gaulle qui a su déceler les ressorts secrets de cette âme française. “
7. “Tous les gros rats ont abandonné le navire” (28 avril 1945)
La fin du Reich est imminente. Pierre Hélias fait part de son étonnement : ” Les armées de la libération, sitôt franchies le Rhin, ne rencontrent plus que des Fritz débonnaires, des Gretchen hommasses. Dommage qu’il y ait Ravensbruck, Ausschwitz et Buchenwald où les cadavres en tas fermentent au soleil.Les Nazis ont mis à mort 12 millions d’étrangers. Les femmes et leurs hommes ne savaient rien, ces bonnes pâtes d’Allemands gonflés de bière, ces fumeurs de pipes à couvercle. Rien du tout, mein gott. Quand vient l’heure du châtiment tout le monde veut être lampiste, c’est à dire irresponsable“.
Les banquiers et industriels nazis sont depuis longtemps en sécurité et les chefs nazis sont prêts à partir constate Hélias qui fait le parallèle en France. On y condamne des minables, des “figurants du Rassemblement National Populaire ou du Parti National Breton, des béjaunes des dénonciateurs, auxquels on ne peut reprocher que des propos intempestifs“. Les agents de la Gestapo, les valets de Vichy qui dénonçaient les patriotes, traquaient les maquis, torturaient, tuaient sont passés où ? se demande Pierre Hélias qui plaident une fois de plus pour une épuration rigoureuse.
8. ” Il est plus facile de faire la guerre que d’organiser la paix” ( 7 juillet 1945)
Pierre Hélias dès l’été 1945, fait le constat amer que la guerre n’a rien réglé des conflits anciens et en a créé d’autres. Ce qu’il appelle les batailles de la paix c’est tout simplement la concurrence économique, avec un enjeu : quel peuple deviendra le plus grand ? Pierre Hélias est très pessimiste sur l’avenir d’un monde qui enterre bien vite les idéologies généreuses de liberté et de fraternité. Les démocraties s’accordent à laisser les dictateurs en place en Espagne, au Portugal. Idem , priorité au relèvement industriel allemand ” déjà prédominent les odeurs du pétrole et du caoutchouc, déjà fument les hauts fourneaux“. Sa dernière chronique “Les jeux de la guerre et de la paix” se terminent par un laconique “Faites vos jeux“.
Fin juillet 1945 Pierre Hélias quitte le journal, Vent d’Ouest, après dix mois de rédaction en chef. On peut y lire ce jour là le Manifeste de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance. Le M.L.N. a décidé de se lancer en politique. Pierre Hélias écrira plus tard que “l’essentiel du ménage étant fait…nous les provinciaux sans ambition, nous sommes rentrés dans le rang“. Il redevient donc professeur de collège à Vitré avec pour idée de faire une thèse sur Alain-René Le Sage. Fin 1946 Hélias est contacté par Maurice le Nan, délégué à l’information pour la Bretagne pour créer et animer une émission en breton sur Radio Bretagne. A partir du 21 décembre 1946, Pierre Hélias et son compère Pierre Trépos de Plozévet créent les personnages emblématiques de Jakez Kroc’hen et de Gwilhou Vihan dont les sketches eurent un succès considérable jusqu’à la fin des années cinquante. C’est aussi, à partir de sa nomination à l’École normale de Quimper, le début de l’implication de Pierre Hélias dans la défense de la langue et de la culture bretonne notamment dans les stages de l’association Ar Falz et aussi en créant des pièces de théâtre en français et en breton pendant les Fêtes de Cornouaille.

Pennad orin / Texte original
Troidigezh / Traduction
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Vent d'Ouest, hebdomadaire régional du mouvement de libération nationale lire en ligne sur Gallica