Le Trésor du breton écrit Teñzor ar brezhoneg skrivet
Ce blog s'inscrit en complément de la Chronique Brezhoneg : trésor du breton écrit publiée dans Ouest-France dimanche. Vous y trouverez les textes intégrals et leurs traductions ainsi que des éléments de bibliographie et des liens internet pour en savoir plus. Amzer ar brezhoneg skrivet a ya eus ar bloaz 800 betek vremañ. Kavout a reoc'h amañ ar pennadoù en o hed hag o zroidigezh ha war an dro un tamm levrlennadurezh hag al liammoù internet da vont pelloc'h ganti ma peus c'hoant.

Le nom Iroise : trois hypothèses sur l’origine d’un nom magique

La passionnante série de France 3 Bretagne intitulée Marvailhoù mor an Hirwazh ( Les merveilles de la mer d’Iroise) met en exergue le nom breton de L’Iroise un nom qui par ses douces consonnances séduit nos oreilles francisées.
Cette forme bretonne a été reprise par la conmmunauté de communes du Pays d’Iroise ( Bro an Hirwazh Kumuniezh) qui a intitulé son magazine Hirwazh. On trouve maintenant plusieurs sites commerciaux qui portent ce nom qui fait partie du paysage. L’Office public de la langue bretonne (Ofis publik ar brezhoneg) recense 27 rues ou lieux-dit portant ce nom suite à ses préconisations. 
A noter que la forme retenue An Hirwazh, avec l’article) est respectueuse de l’histoire de ce toponyme nautique qui donc maintenant sa forme officielle.

La forme bretonne d’Iroise a été proposée pour la première fois en 1878 par un érudit Quimpérois R.F. Le Menn. Il y voyait la combinaison de Hir (long) et de Gwazh (qui signifie ruisseau mais qui, en toponymie nautique, désigne un canal, détroit ou encore un passage). Hir-Wazh serait donc le passage de l’Iroise. L’universitaire brestois Bernard Tanguy a proposé cette explication dans Les Cahiers de l’Iroise en 1998 donnant une onction scientifique à cette hypothèse. Mais il n’était pas totalement convaincu comme l’exprime sa phrase de conclusion : “Un doute subsiste quant à la validité de cette interprétation”.
Cette formulation est pourtant en phase avec les formes anciennes. Que ce soit sur les cartes ou dans les textes on n’écrit que L’Iroise ou Le passage de l’Iroise jusqu’à la fin du XIXème siècle. L’appellation Mer d’Iroise est par contre tout à fait récente. Le romancier Jules Verne écrit en 1894 Mer de l’Iroise, ce qui est respectueux de l’appellation ancienne. C’est en 1906, qu’un autre romancier, Frédéric Valade, s’autorise le raccourci Mer d’Iroise qui va rapidement s’imposer. ainsi que plus récemment, en faveur du bilinguisme de nos institutions, la forme bretonne Mor an Hirwazh.
La plus ancienne date du XVIIème siècle. Le mot Iroise viendrait du mot Irois et son féminin Iroise qui désignait les Irlandais et Irlandaises venus en masse se réfugier en Bretagne à partir du XVIIème siècle.  C’est un moine bénédictin Louis le Pelletier qui en 1716 affirma : “nous l’appellons L’Iroise; parce que les Irois ou Irlandois entrent par-là à Brest“. Moine à l’abbaye de St Matthieu il était bien placé pour voir ces milliers d’Irlandais qui se réfugièrent en Bretagne suite à la bataille de la Boyne en 1691. Ils fuyaient la répression impitoyable des Anglais contre les Catholiques.  Les Irlandais ont commencé à émigrer régulièrement en Bretagne dès le début du XVIIème siècle. L’expression “Passage de l’Iroize” apparait pour la première fois sur la carte de Robert Cordier en 1669 et dans les écrits  en 1694, c’est à dire trois ans après la bataille de La Boyne. Mais l’appellation géographique est curieuse, s’il s’agit bien des Irlandais on aurait dit Passage des Irois. A St Domingue existe une ”Baye des Irois”.
Mais comment cette portion de mer entre la Chaussée de Sein et Ouessant était-il connu en breton. Louis le Pelletier nous indique dès 1716 que les Bas-Bretons appelait l’entrée de Brest Canol-Is c’est à dire le canal qui mènent à la ville d’Ys. Mais ajoute t’il les pêcheurs de l’île de Sein disent Canol Irès. Irlande signifie Pays d’Ir, nous dit encore Louis le Pelletier, ce qui expliquerait la forme sénane Kanol Irès, le suffixe ez peut designer le pluriel comme Ael / Aelez ( ange des anges)  Ir/ Irez ( Ir /irois). Le suffixe ez peut aussi marquer le féminin comme dans Saoz / Saozez ( Anglais /Anglaise) on aurait donc Ir/Irez ( Ir / iroise).
Francis Favereau dans son dictionnaire franchit le pas car il traduit Mer d’Iroise par Mor Iwerzhon. (Mer d’Irlande). C’est la graphie contemporaine de Yverdon qu’on trouve au XVème siècle dans Buhez Santez Nonn (La vie de Sainte Nonn). Mais cette appellation prête à confusion avec ce que les géographes appellent Irish sea ou Mer d’Irlande.
Ce lien Iroise = Irlandais apparait cependant comme douteux à un autre universitaire, Hervé le Bihan qui s’est penché sur cette question. Le féminin Iroise qui signifierait irlandaise est rare (1). Il faut donc fouiller dans les ressources lexicales du breton pour tenter une explication rationnelle.
C’est à l’île de Sein, limite sud de L’Iroise qu’on trouve peut être la solution. Mer profonde se dit localement mor ervoaz selon le dictionnaire de François Vallée de 1931. Ce mot rare a été collecté plusieurs fois sous la forme erwachenn, arwachenn qui désigne les flots. Ce pourrait donc être l’explication. Le passage d’Iroise serait le passage aux flots profonds vers la pleine mer. Il faudrait donc peut être voir dans Iroise une forme francisée d’Erwaz
Les Sénans eux ont leur façon très particulière de nommer la mer autour de l’île : Ni beus ar mor c’hlei hag ar mor dihou. Ar mor c’hlei eo L’iroise, ar mor dihou eo le golfe de Gascogne, l’océan atlantique… e droyeur ato war ar reter, penn e reter. Ar pez ma yade en traou d’ar reter e oa ar mor dihou hag ar pez ma yade el lae e oa, pegur, e oa sellad var an douar, penn var an douar-braz…er mor-c’hlei e zo leun a gearreg, tost d’ar c’hoste. Ar c’hôcheur e ya eo ar mor c’hlei eo. (Nous avons la mer de gauche et la mer de droite. La mer de gauche c’est L’Iroise, la mer de droite c’est le golfe de Gascogne, l’Océan atlantique… On s’oriente toujours selon l’est, cap à l’est. Ce qui se trouvait au sud de l’est c’était la mer de droite et ce qui se trouvait au nord, parce qu’on regardait le continent, c’est la mer de gauche qui était pleine de rochers près de la côte. La chaussée se trouve dans la mer de gauche).
Si en français Mer d’Iroise a détrôné Mer de l’Iroise ou L’Iroise tout court, en breton c’est donc An Hirwazh qui s’est imposé.
Pour le fun sachez que Hirwazh est le nom d’une bière, Iroaz , le nom d’un parfum et Erwaz le nom d’un bijoux.
(1) on ne connait que deux exemples de l’utilisation d’Iroise pour Irlandaise : ( Thèse d’E. O Ciosain)
- 1606 : “l’hôpital des pauvres de Saint-Malo « donne à une bande d’Irois pour se retirer, 42 sols» et « à une pauvre Iroise en couche, 32 sous 6 deniers”
- “1636 : “le logement et entretien des compagnies Iroises conduites par le colonel Collon”
Par contre on trouve aussi la dénomination hibernoise ou irlandoise pour les femmes, sur les actes d’état civil.

Carte de Robert de Vaugondy, géographe du roi, 1778

Pennad orin / Texte original

Origine du mot Iroise : Hypothèses

1716 : Geriadur Le Pelletier : "Nos Bas-Bretons voisins de Brest, & ceux des Isles adjacentes, nomment la grande entrée de ce port, dite par les mariniers françois L'Iroise, Canol-Is, le Canal d'Is , c'est-à-dire, le canal qui conduit a la fameuse isle d'Is ... Les Pêcheurs de l'Isle de Sain nomment cette plage Canol Ires , & nous autres François,  comme je l'ai dit, nous l'appellons L'Iroise; parce que les Irois ou Irlandois entrent par-la à Brest."

1732 : Geriadur Gregor Rostren :
Canal d'Is ou L'Iroise : Canol Ys, Canol Ylès
"L'Iroise, espace de mer entre les isles d'Ouëssant et de Sein, répondant à l'entrée de la baïe de Douarnenez et de celle de Bertome. Canol-Is, Canol Ilès. Les Bretons tiennent que c'étoit l'entrée de la ville d'Is."

1799 : "Le canal de l'Iroise, ce nom dans les anciens titres Canol-Is (Canal d'is) ou canal bas, provient des différents peuples du nord. qui vinrent ravager l'Armorique dans les premiers temps du christianisme, et que les Bretons confondirent tous sous la dénomination d'Irois, Irlandais, comme on les connaissait ailleurs sous le nom général de Normands... Le nom de Canal Is fut négligé pour y substituer celui de passage des Irois, L'iroise... Le mot Ire-lande, pays des Irois, signifie à la lettre terre des Irois, des Ire ou Irois. A. Thévenard, Mémoire relatif à la Marine, T.II, p.83

1820 : Geriadur dornskrivet Coetanlem : "Les détroits et les bras de mer sont aussi des canaux. De là vient qu'on dit souvent le Canal pour désigner le détroit qui sépare la Grande-Bretagne du continent. On lui donne encore différents noms comme la Manche, le Pas de Calais, Brittanum Mare, Armoricus Practus."

1821 : Geriadur Le Gonidec : "Kanol-is, Le canal d'Is ou Iroise, la grande entrée du goulet de Brest.

1821, : P.L. Athénas : "L'entrée de la baie d'Iroise, c'est à dire des Irlandais" in  Mémoires sur le nom que portait Brest dans les premiers siècles, P.348"

1847 : M. Deric : "
On cinglait de Brest par l'Iroise pour se rendre chez les Irois ou Ir-landois" Histoire écclésiastique de Bretagne, T1, P.52.

1869 : Geriadur  Troude : L'Iroise, bras de mer entre Ouessant et l'ïle de Sein, Kanol-Is (Le bras de mer d'Ys). Dictionnaire français et celto-breton,  p.XL. 1869.

1878 : R.F. Le Menn : "Iroise ou passage de l'Iroise, ce nom me semble être une forme altérée du celtique Hir-Gwaz (en composition Hirwaz), long ruisseau ou long courant d'eau. B.S.AF. 1878 p.115

1931 : Geriadur F. Vallée : " Mor erwaz : mer profonde (île de Sein).

2022 : Paroles de sénans : "Ni beus ar mor c'hlei hag ar mor dihou. Ar mor c'hlei eo L'iroise, ar mor dihou eo le golfe de Gascogne, l'océan atlantique... e droyeur ato war ar reter, penn e reter. Ar pez ma yade en traou d'ar reter e oa ar mor dihou hag ar pez ma yade el lae e oa, pegur, e oa sellad var an douar, penn var an douar-braz...er mor-c'hlei e zo leun a gearreg, tost d'ar c'hoste. Ar c'hôcheur e ya eo ar mor c'hlei eo." ( Nous avons la mer de gauche et la mer de droite. La mer de gauche c'est L'Iroise, la mer de droite c'est le golfe de Gascogne, l'Océan atlantique... On s'oriente toujours selon l'est, cap à l'est. Ce qui se trouvait au sud de l'est c'était la mer de droite et ce qui se trouvait au nord, parce qu'on regardait le continent , c'est la mer de gauche qui était pleine de rochers près de la côte. La chaussée se trouve dans la mer de gauche. in Paroles de Sénans, recueillies par P.Y. Kersulec. Yoran Embanner, 2022, pp375-376.

 

Troidigezh / Traduction

Citations anciennes concernant l'appellation géographique "Iroise"

1694  : "La pluspart des bastimens gagnèrent l'Iroise", "Les bastimens qui etoient rentrés dans l'Iroise" in La Gazette de France, 1694.p.262.

1694 : "Ceux d'Oüessant rapportent que lorsqu'ils passèrent dans l'Iroise" in Le Mercure Galant p. 333) ; "Le 17 on les vit entrer dès le matin dans l'Iroise" (P. 322) ; " Ils furent suivis du reste de la flote qui se retira par le passage de l'Iroise" (P.331)

1753 : "Le passage de l'Iroise" in Dictionnaire universel de mathématiques et de physique, T.2, 1753

1756 : "Dans l'Yroise et au chenal du four, la mer monte de 18 pieds" in État du ciel pour l'an de grâce 1754, p.129 (Gallica)

1799 : " 30 vaisseaux de ligne, 4 frégates et une corvette anglaise ont été signalés dans l'Iroise" in Le moniteur universel, 28 Août 1799.

1803 : " Le passage de l'Iroise, C'est tout l'espace compris entre Ouessant et la chaussée de Saints...L'Iroise finit à La Parquette, cet éceuil est compté comme un danger de l'entrée du goulet". Dictionnaire universel de géographie, John Maltam, Traduit de l'anglais par L. de Grandpré, 1803.

1816 : "Basse de l'Iroise, reconnue en 1816", Pilote Français, 1822 par M. Beautemps-Beaupré.

1832 : " Les navires qui entrent à Brest arrivent par l'une des trois passes suivantes : celle du raz-des-saints ...celle de l'Iroise comprise entre l'Isle des saints et Ouessant, c'est la plus large et la moins dangereuse ... et enfin par le passage du Four entre Ouessant et la terre du Conquet" in Les pilotes de l'Iroise" roman maritime par Edouard Corbière. 1832.

Citations concernant "La mer d'Iroise"
1894 : "Cependant ta Rance n'a jamais ressemblé à cette mer de l'Iroise par un coup de chien du sud-ouest." in Mirifiques aventures de Maître Antifer " Jules Verne 1894.
1900 : "L'ancienne mer de l'Iroise, beaucoup plus vaste et plus ouverte que le golfe de nos jours" Charles Lenthéric, Côtes et ports français de l'océan in La revue des deux mondes, février 1900. P.883
1906 : "Au sommet des falaises contre lesquelles se débat la mer d'Iroise", in Le Sorcier noir de Frédéric Valade, publié dans L'éclair du 18 octobre 1906
1908 : " Au large du goulet s'étend la mer d'Iroise" in Bulletin de la sociéte de géographie du Havre, 1908, p.165
1928 : " Par delà sont la chute de l'Europe, la mer d'Iroise et la ville d'Ys.", Georges Barbarin, in Le Quotidien, 1 Aoüt 1928.
1929 : "Ses embarcations venaient d'être enlevées par la mer l'Iroise" in Ouest éclair, 30 décembre 1929, p.4.
1938 : "Sur cette haute dune qui est son rêvoir et son royaume, face au miroitement de la mer d'Iroise" Théophile Briant, Saint-Pôl-Roux, cité dans la Dépêche de Brest 6/12/1938

Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin

Brezhoneg
France 3 Breizh : Marvailhoù mor an Hirwazh, You Tube, Sellet en linenn
Paroles de Sénans, Yoran embanner, 2022. Kronikenn
Wikipedia : Kumuniezh kumunioù bro an Hirwazh lenn en linenn
Ofis publik ar brezhoneg, Ker Ofis, lenn en linenn

Français

R.F. Le Menn, Hir-waz, in Bulletin de la société archéologique du Finistère, 1878, p.115 lire en ligne sur gallica
Jean-Pierre Pinot, L'iroise sur les cartes anciennes de Bretagne, in Les cahiers de l'Iroise, N°180, octobre 1998
Bernard Tanguy, Le nom Iroise, in Les cahiers de l'Iroise, N°180, octobre 1998.
Herve le Bihan, Mer d'Iroise, mer irlandaise ?, in Mélanges linguistiques britto-irlandais, p.39-44
Hervé Le Bihan, Mor hirwazh ?, in Hor Yezh, Niv. 233, meurzh 2003
Éamon ó Ciosáin, L'apport de l'anthroponymie à l'étude de la migration irlandaise en France (XVIIème-XVIIIème siècles), Lire en ligne
E. ó Ciosáin & A. Le Noac'h, Immigrés irlandais T1, lire en ligne,  T2, lire en ligne, sur le site de l'I.D.B.E.
Patricia Dager, Les réfugiés irlandais au XVIIème siècle en Bretagne, lire en ligne

Kartennoù / Cartes
16.., Entrée de l'Iroise, en ligne sur gallica
1669, Passage de l'Iroize, Lachanaye, en ligne sur gallica
1669, Passage de l'Iroize, Robert Cordier en ligne sur Gallica
1680-1700 Passage de l'Iroise, Denis de la voye en ligne sur gallica
1764 Passage de l'Iroise, Jacques-Nicolas Belin, en ligne sur gallica
1778 Passage de l'Iroise, Robert de Vaugondy, Université de Berne, en ligne
1800 Iroise passage, John Knight, en ligne sur British Museums, en ligne
1823, Iroise & basse de l'Iroise, Beautemps-Beaupré, Pilote français, en ligne

Musique
Les Irlandais de Bretagne
C.D. et Date de tournée en Bretagne en France et en Irlande, lire en ligne