1901 : Le paysan bas-breton, Jean-Marie Déguignet se révolte contre la misére dans un poème inédit
La revue linguistique Hor Yezh (Notre langue) vient de publier un poème inédit de Jean-Marie Déguignet. Au crépuscule de son existence mouvementée, vivant ”sur un grabat de fougères, n’ayant que de sordides haillons pour couvrir son vieux corps usé” il jette à la face du monde son cri de révolte : An deputeed tromperien, ganeomp ni mevelien, N’hellont bevañ mat gant pemp lur warn’ugent ; Ur paour kaezh devezhour amañ e Breizh-Izel N’en deus ket daou wenneg da vagañ pep bugel ( Les députés qui nous trompent nous les domestiques, Ne peuvent bien vivre qu’avec 25 francs ; Un pauvre journalier de Basse-Bretagne n’a pas deux sous pour nourrir chacun de ses enfants).
Et le révolté s’en prend à tous les notables de l’époque : Ene an dud paour, al labourerien gouez vez leun a dristidigezh. Penaos e fell dezho vez an dud-se joaius, Atav e kreiz ar vizer hag ar poanioù mezhus e pere int dalc’het gant an dud pinvidik ( L’âme des pauvres, des rustres est pleine de tristesse. Comment voulez vous que ces gens soient joyeux quant ils sont tenus dans la misère et les souffrances honteuses par les gens riches).
Déguignet dénonce le discours du clergé de l’époque qui interdisait aux pauvres de boire, de danser, de s’amuser : Lavaret e vez dezho penaos n’heller mont d’ar vuhez eternel nemet dre dristidigezh. Partout ez int laeret eus a gement feson : laerezh a reer o gwad, o spered, o raezon, o nerzh o c’houstiañs, ar mel eus o eskern Ha strafuilhet goude gant flamoù an ifern ! ( On leur dit qu’ils ne peuvent prétendre à la vie éternelle que dans la tristesse. Ils sont spoliés de toutes les façons : on leur vole leur sang, leur esprit, leur raison, leur force leur conscience, la moëlle de leurs os et on les effraie ensuite avec les flammes de l’enfer).
En 1901, la comète de Hal, visible à l’oeil nu, fit la une des journaux et attisa les croyances d’une fin du monde proche. Ha te kometenn sot, sponterez eternel, petra chomes du-se da bourmen er c’hastell ? Perak ne teuez ket gant da grabanoù ruz Da lakaat ar bed-mañ e poultr hag e ludu (Et toi comète folle, éternel épouvantail, Pourquoi reste tu te promener dans le firmanent ? Pourquoi ne viens-tu pas avec tes griffes rouges pour mettre ce monde en poussière et en cendres ?)
Déguignet envoya son poème pour un concours littéraire, on devine l’effroi du jury devant ces accents peu conformistes. Sans surprise, il ne gagna aucun prix.
Pennad orin / Texte original
1
O Santez Anna Wened, Mamm gozh da Jezuz Krist
Petra emaint o klask hor rejionalist ?
Ur gomedi nevez graet war bouezh an alkol
‘Vit komedianet, an dra-se n’eo ket drol.
2
Aet int skuizh o c’hoari gant ar santez Trifin
Ar saovaj Gwenole, Grallon ha Kaorintin
O kanañ gant o breudeur eus ar c’hostez d’an aod
“Wrth Cymru-Breiz brawd-ddyn cywair dyddarfod”
3
Kement a zo bremañ a gomedianed
Azalek ar person betek an deputeed
Me ‘gred e vez ezhomm e-leizh komedi
‘Vit dalc’hen an dud-se ‘pad ar bloaz da c’hoari.
4
Ha barzhed an dud-se ne ouzont ket mui mat
Eus peseurt kemenner e c’hellfent tennañ gwad.
Penaos e skivfent deoc’h war sujed an alkol
Pa vefent gantañ kazimant aet da goll
5
‘Vel-se hoc’h oblijet, o rejionalist
Da chom da ebatañ gant ho misterioù trist ;
“Trist evel ar mor du, ha memes tristoc’h c’hoazh
Ken trist hag an traoù trist eus Anatol ar Braz.
6
Mar n’int mui ho parzhed gouest d’ober netra
Komedi na mister ‘vit ho tivertisañ,
Me ‘m eus unan amañ e-barzh ma lochig ki
Pehini ‘m eus anvet un traji-komedi.
7
Honnezh a zo skrivet ganin un tammig ‘zo
War sujed an traoù kaer a welan en hor bro,
Mas spesialamant war sujed an alkol
E pehini hoc’h eus tout pep hini ur rol.
Troidigezh / Traduction
1
O Ste Anne de Vannes, grand mère de Jésus Christ
Que cherchent nos régionalistes ?
Une nouvelle comédie sur le thème de l'alcool
Pour des comédiens, ceci n'est pas drole.
2
Fatigués de jouer Sainte Triphine
Le sauvage Gwenolé, Gradlon et Corentin
En chantant avec leurs frères de l'autre côté de la mer
"Bretagne-Pays de Galles, frères de ce jour".
3
Il a maintenant tant de comédiens
Du recteur jusqu'aux députés
Je pense qu'il faut beaucoup de comédies
Pour qu'ils puissent jouer leur rôle toute l'année.
4
Et les bardes de ces gens là ne savent plus bien
De quelle veine ils peuvent tirer du sang
Comment écrire sur le sujet de l'alcool
Quand ils sont eux-même complètement imbibés.
5
Ainsi vous êtes obligés vous les régionalistes,
De rester vous amuser avec vos mystères tristes
Triste comme la mer sombre, et plus triste encore
Aussi triste que les choses tristes d'Anatole le Braz.
6
Si vos bardes n'arrivent plus à produire
Ni comédie ni mystère pour vous divertir,
J'en ai une ici dans mon taudis de chien
Que j'ai appelé une tragicomédie.
7
Celle-ci fut écrite par moi il y a quelques temps,
Sur les belles choses que je vois dans ce pays
Spécialement sur le thème de l'alcool
Ou chacun d'entre vous tienne un rôle.
....
Gouzout Muioc’h / Pour aller plus loin
Jean Marie Déguignet, Lizher da François Vallée, in Hor Yezh N°315-316, 2023, pp 19-27
Jean-Marie Déguignet, Mémoire d'un paysan bas breton, éd. Arkae 2022, cf Site Arkae